Programme > Présentations d'ouvrages G. Bouleau et J-P. Pierron

Jeudi 5 septembre 2019  -  20h00-22h00  -  Université Lumière Lyon 2 – salon l’Hirondelle

 

BOULEAU G., 2019, Manuel d’analyse des politiques publiques à l’usage des ingénieurs et des urbanistes. Exemples dans le domaine de l’eau et de l’environnement, Paris, Presses des Ponts, 124 p.

 

Compte-rendu inédit à retrouver sur le site de Géocarrefour

« Pas de technique sans sciences politiques ? » Gabrielle Bouleau, Manuel d’analyse des politiques publiques à l’usage des ingénieurs et des urbanistes. Exemples dans le domaine de l’eau et de l’environnement

Sylvain Rode
 

Cet ouvrage singulier aurait aussi pu s’intituler, en paraphrasant Rabelais, Sciences de l’ingénieur sans sciences politiques n’est que ruine de l’âme ! De fait, ce « manuel d’introduction à l’analyse des politiques publiques à destination des ingénieurs et des urbanistes » (p. 7) les invite à – et les accompagne dans – une réflexivité sur les politiques publiques qu’ils contribuent à mettre en œuvre, et ce en leur donnant quelques clés de compréhension des processus socio-politiques complexes de « construction d’une décision publique » (p. 8). C’est là sa première singularité. La deuxième réside dans la place privilégiée qu’il accorde aux questions d’environnement, et plus particulièrement au domaine de l’eau, comme l’indique le sous-titre. En effet, l’auteure est spécialiste des politiques publiques de gestion de l’eau et considère que « les histoires d’eau offrent […] un florilège de situations bien utiles pour servir d’illustrations concrètes aux processus que la sociologie politique a mis en évidence dans des domaines divers » (p. 10). Enfin, la troisième originalité de ce manuel universitaire est qu’il débute par… un conte, intitulé « Il était une fois, sur les berges du Tempétueux… » ! L’objectif de cette petite fiction de huit pages, qui constitue le premier chapitre de l’ouvrage, est « d’exposer quelques enjeux actuels de la gestion de l’eau en France et les institutions qui les gouvernent » (p. 15). Nourrie par des observations réelles, cette fiction s’organise autour de la figure d’un pêcheur à la mouche qui voit sa journée de pêche contrariée par une inondation. Elle permet à l’auteure d’évoquer diverses pratiques et politiques publiques liées à l’eau – la pêche, la pollution, les inondations, l’approvisionnement en eau potable et les réseaux induits – ainsi que les acteurs qui y sont liés – fédération de pêche, syndicat intercommunal des eaux et de l’assainissement, conseil départemental, DREAL, ASA, Agence de l’eau, élus communaux, etc. Le souci d’ancrage dans le réel de ce conte réaliste est affirmé par la production, en début de chapitre, d’une « carte de situation du Tempétueux » (p. 15) qui donne à voir de façon schématique une configuration spatiale imaginaire mais cohérente exprimant et révélant différents enjeux et problèmes liés à l’eau et à sa gestion.

La suite de l’ouvrage se présente comme un manuel plus classique, composé de cinq chapitres qui mêlent développements théoriques et études de cas concrètes, et sont émaillés de petits dessins en noir et blanc offrant un point de vue décalé et humoristique sur certaines problématiques abordées. Le chapitre 2, « Les acteurs des politiques publiques et leurs contextes d’intervention », aborde en sept pages différents courants d’analyse des politiques publiques, afin de faire prendre conscience au lecteur de l’importance de connaître les acteurs des politiques publiques et de comprendre leurs motivations et logiques d’action. Le chapitre 3, « Analyse séquentielle de la construction des politiques publiques » (29 pages), montre comment des problèmes sont publicisés, cadrés, politisés et mis à l’agenda politique, et souligne que « la décision politique n’est jamais le fait d’un acteur unique » (p. 60), évoquant alors la participation des citoyens et la classique échelle d’Arnstein. Au registre des travaux incontournables en sciences politiques, il est surprenant de ne pas trouver dans ce chapitre de référence au travail de Felstiner, Abel et Sarrat (1980-1981) qui identifient trois étapes dans la construction des problèmes publics : naming (la nomination), blaming (le blâme), claiming (la réclamation). Dans le cadre d’un manuel d’introduction à la science politique pour non-spécialistes, la mobilisation de cette trilogie parlante et efficace aurait pourtant été tout à fait adaptée. Le chapitre 4, « Les modèles de l’action publique » (12 pages), traite de « la manière de parvenir à une décision commune » (p. 63) à travers les notions d’intérêt général, de paradigmes et de référentiels sectoriels et présente différentes doctrines d’action publique : « la raison d’État et la gouvernementalité, la régulation croisée et la régulation procédurale, le saint-simonisme, l’evidence-based policy et le nouveau management public » (p. 68). Ces développements ont pour but d’inciter les ingénieurs et les aménageurs à questionner l’apparente évidence de la définition des objectifs d’une politique publique. Là aussi, si nombre de références classiques (Boltanski et Thévenot, 1991 ; Jobert et Muller, 1987 ; Callon et al., 2001, etc.) sont mobilisées dans le corps même du chapitre, quelques travaux importants auraient pu être utilisés pour définir de manière plus précise la notion de paradigme, comme ceux de Thomas Kuhn (1963) et Peter Hall (1993) par exemple. Si ces deux références figurent bien dans la bibliographie, elles ne sont en revanche pas mentionnées dans le texte du chapitre 4. Notons toutefois qu’elles se retrouvent, en fin d’ouvrage, dans un glossaire qui définit les notions majeures mobilisées dans le volume, donne parfois un exemple, et propose pour chaque notion quelques références bibliographiques pour aller plus loin. Le chapitre 5, « La mise en œuvre des politiques », explique en 10 pages comment une décision publique se transforme en actes sous l’influence de forces sociales et de jeux d’acteurs complexes, en évoquant notamment les négociations à l’échelle locale, l’acceptabilité sociale d’une action publique ou les différentes formes d’évaluation du succès des politiques publiques. Le chapitre 6, « Les organisations politiques et leurs responsabilités juridiques : exemple de la gestion de l’eau », décrit en 18 pages le cadre institutionnel et l’organisation administrative française en lien avec le domaine de la gestion de l’eau. Il présente ainsi tour à tour les divisions territoriales en France (la présentation, synthétique et pédagogique notamment grâce à un efficace petit schéma p. 87, des quatre niveaux administratifs principaux qui organisent le territoire français et contribuent à son administration n’est probablement pas inutile pour bon nombre de lecteurs), les compétences de l’Union européenne en matière d’environnement (la Directive cadre sur l’eau de 2000 est évoquée trop succinctement, l’essentiel de cette partie étant consacré à un « rappel sur les institutions européennes » (p. 88-89) peut-être utile pour certains lecteurs mais aux allures de cours d’éducation civique de lycée), l’organisation de l’État français (l’État central et ses services déconcentrés dans les régions et les départements), l’organisation des collectivités territoriales, des communes aux conseils régionaux et départementaux en passant par les Établissements Publics de Coopération Intercommunale (au passage la communauté urbaine est oubliée dans la liste des EPCI…), les établissements publics et parapublics (Agences de l’eau, ex-ONEMA, Agence française de la biodiversité, compagnies d’aménagement comme la Compagnie Nationale du Rhône, etc.) et les organisations structurant la société civile (associations syndicales de gestion de l’eau, associations reconnues par l’action publique, partis politiques et organisations professionnelles). Ce dernier chapitre pose question quant à sa situation en fin d’ouvrage : n’aurait-il pas été plus à sa place à la suite du chapitre 2, qui abordait de manière théorique les acteurs des politiques publiques ? Ce deuxième chapitre très court aurait peut-être pu s’étoffer en incluant la présentation concrète des acteurs de la gestion de l’eau, renforçant la cohérence et l’efficacité de la démonstration. Un autre point pose question, l’articulation au sein de chaque chapitre entre les développements généraux et les études de cas concrètes. Celles-ci apparaissent parfois juxtaposées de manière quelque peu hétéroclite ou insuffisamment développées pour bien faire apparaître les liens avec les développements théoriques qui précèdent. A cet égard, les conclusions partielles, en gras, sont précieuses – souvent de qualité, elles soulignent en effet ces liens logiques entre théorie et empirie et synthétisent les points essentiels de la démonstration – mais certaines d’entre elles sont hélas trop succinctes et gagneraient à être étoffées.

En dépit de ces petits bémols, la lecture de cet ouvrage très bien fait, avec un réel souci pédagogique, est à recommander vivement. Il atteint en effet son but de sensibiliser les ingénieurs et les urbanistes à la complexité de l’action publique et à « la pluralité des rationalités » (p. 103) qui s’y déploient, au-delà des seuls aspects techniques dont ils sont familiers. Mais c’est probablement en accompagnement ou en complément d’un enseignement dédié à l’analyse des politiques publiques dans les masters d’urbanisme ou dans les écoles d’ingénieurs qu’il prendra tout son sens et trouvera toute son utilité. En effet, s’agissant d’un volume court, l’auteure a dû composer avec une difficulté inhérente au projet même de cet ouvrage et donc difficilement évitable, celle de présenter en quelques pages, donc de manière nécessairement succincte, des théories sociologiques et politiques complexes et des courants de pensée nombreux. Même si Gabrielle Bouleau a su relever cette gageure, il n’en reste pas moins que pour un public ne possédant aucune base dans ces domaines, cet ouvrage constitue une introduction utile, mais non suffisante.

 

Bibliographie

Felstiner W., Abel R. et Sarat A., 1980-1981, The Emergence and Transformation of Disputes : Naming, Blaming, Claiming, Law and SocietyReview, vol. 15, n° 3-4, p. 631-654 (traduit en français dans Politix, n° 16, 1991, p. 41-54).

Kuhn T.S., 1963, The Structure of Scientific Revolutions, Chicago, University of Chicago Press.

Hall PA., 1993, Policy Paradigms, Social Learning and the State : The Case of Economic Policy-Making in Britain, Comparative Politics, vol. 25, n° 3, p. 275-96.

 

 

PIERRON, J-P, 2018, La poétique de l’eau. Pour une nouvelle écologie, Editions François Bourin, 177 p.
 

Résumé 4ème de couverture

« Canalisée, maîtrisée, distribuée, l'eau nous apparaît désormais ordinaire, à portée de robinet. Quant à ces temps où chaque source, chaque rivière étaient habitées par une nymphe, nous les avons oubliés. Nous ne vivons plus l'eau, nous l'utilisons. Un simple flux à gérer. Et pourtant, on parle de stress hydrique, de désertification galopante, d'épuisement des nappes phréatiques : nous savons aussi qu'elle commence à manquer, qu'elle est précieuse. Comment est-on parvenu à cette situation paradoxale ? Du philosophe grec Thalès de Milet qui, affirmant que " tout est eau ", faisait d'elle le principe de toute chose, au chimiste Lavoisier qui, au XVIIIe siècle, la désenchantera pour y découvrir un composé chimique, et au moment écologique contemporain, toute une histoire se déploie. C'est ce récit complexe, et les différentes conceptions qu'il porte, que le philosophe Jean-Philippe Pierron nous raconte ici. Alors que le soin écologique relève aujourd'hui d'une urgence, ce geste poétique vaut engagement. Car pour changer les pratiques, ne nous faut-il pas dépasser le simple utilitarisme et produire un nouvel imaginaire ? Et si cela commençait par rêver l'eau ? »

 

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