Programme > Conférence S. Guével

Vendredi 6 septembre 2019  -  12h-13h  -  Salle D8-001

 

Histoire des relations entre Paris et ses canaux (1818-1876) : Formes, usages et représentations.

Solenn GUÉVEL, Lauréate du Prix Pierre Massé 2018 de la Société hydrotechnique de France

Architecte DPLG, Docteure en Architecture, Maîtresse de Conférences en TPCAU (Théories et Pratiques de la Conception Architecturale et Urbaine) à l’ENSA de Paris-Belleville (École Nationale Supérieure d’Architecture) et Chercheure au Laboratoire IPRAUS (Institut Parisien de Recherche Architecture, Urbanistique, Société) rattaché à l’UMR AUSser 3329 du CNRS (Unité Mixte de Recherche Architecture, Urbanistique, Société : Savoirs, Enseignement, Recherche).

 

La conférence interroge l’ensemble de ce qui lie et qui a pu un jour lier Paris à ses canaux, afin d’alimenter et d’élargir les réflexions actuelles sur les problématiques urbaines et sur la définition des modes et temps de constitution de la ville, soit de comprendre les liens entre ville et infrastructure.

À travers l’étude de la forme du paysage et du tissu rural et urbain, des projets, des acteurs privés et publics, des activités et des usages et, enfin, des représentations, le rôle et la place tenus par les canaux parisiens, grands ouvrages d’art à vocation industrielle, destinés au transport de marchandises et à l’adduction d’eau, sont appréhendés, permettant ainsi de saisir, dans le temps, la complexité des processus de constitution et d’évolution de l’espace urbain à Paris, révélant, à l’échelle locale et à l’échelle territoriale, au gré des questions posées, les relations entre ville et canal au XIXème siècle (1818-1876)1.

Dans un premier temps, pourquoi la capitale a-t-elle besoin de canaux ? Quelles sont les conditions de leurs implantations ? Quelles sont les spécificités de cette infrastructure ? Quel est son tracé ? Comment les canaux se sont-ils surimposés aux territoires ? Quels paysages ont-ils fabriqués ? Sont-ils un embellissement et un monument pour le territoire et/ou une coupure dans les tissus existants ? Par rapport à ces questions, nous essayons de comprendre comment les canaux parisiens se sont inscrits dans le territoire (1818-1833), en s’attachant à leurs réalisations, comme infrastructure spécifique (canal d’alimentation en eau et canal navigable), mais aussi comme nouveau paysage.

Dans un second temps, pourquoi des entrepôts sont-ils construits le long des voies d’eau ? De quels types sont-ils ? Y-a-t-il une distinction entre ceux établis à Paris et ceux réalisés à La Villette ? Quelles transformations engendrent-ils ? Quelle place tiennent-ils dans le développement industriel et commercial de la capitale ? De plus, comment le territoire s’urbanise-t-il aux abords des infrastructures ? Par rapport à ces questions, nous tentons de montrer comment la ville s’est adaptée aux canaux parisiens (1833-1860), en s’intéressant au développement d’activités diverses et au retournement de la ville sur ces voies d’eau, soit le passage d’une ruralité à une urbanité.

Dans un troisième temps, pourquoi est-il décidé de couvrir une partie du canal Saint-Martin sous le Second Empire ? Quels sont les impacts de cette couverture sur le transport de marchandises et l’activité industrielle bordant la voie d’eau ? Comment les trames viaire et parcellaire évoluent-elles ? Des projets, liés au service de l’infrastructure et/ou de la ville, apparaissent-ils ? Alors qu’une partie du canal Saint-Martin est recouvert et que la commune de La Villette est rattachée à la capitale, pourquoi des travaux de modernisation des canaux de l’Ourcq et Saint-Denis sont-ils entrepris ? Quels aménagements sont réalisés ? Comment le territoire traversé par l’infrastructure évolue-t-il ? Par rapport à ces questions, nous essayons de mesurer comment les canaux parisiens se sont intégrés à la ville (1860-1876), en se consacrant à la disparition d’une partie du canal du paysage urbain et au tarissement de l’activité industrielle liée à la voie d’eau, ou comment le canal est régi par la ville, mais aussi en s’attachant à l’intégration du canal dans le paysage urbain et à la ségrégation des usages, ou comment la ville est régie par l’infrastructure.

Nous essayons donc de montrer que de leur création à la fin du XIXème siècle (1818-1876), qu’ils servent au transport de marchandises ou à l’adduction d’eau, qu’ils soient à l’air libre ou recouverts, les canaux ont exercé une influence forte sur la formation de la ville qu’ils traversent ; ils peuvent ainsi être considérés comme des éléments fondateurs de l’espace urbain à leurs abords.

Visant à construire un objet historique, en analysant la pluralité des relations entre Paris et ses canaux au cours du XIXème siècle, la thèse mène une enquête à partir de questionnements divers qui empruntent à plusieurs disciplines, s’attachant aux questions des paysages, des formes urbaines et architecturales, des usages et des représentations. Outil de réflexion visant à une meilleure compréhension des liens entre ville et infrastructure, elle souhaite apporter des pistes de réflexions face aux interrogations actuelles sur les possibilités de tirer profit de leur présence et sur la manière dont peuvent ou pourraient se reconstituer leurs abords.

Les apports de cette thèse sont multiples.

Elle tente de nourrir l’histoire de l’aménagement du territoire et, en particulier, l’histoire urbaine parisienne, mais aussi celle des réseaux, des infrastructures et des chantiers, en s’appuyant sur l’histoire des canaux (canal Saint-Martin, canal de l’Ourcq, canal Saint-Denis). Elle alimente l’histoire paysagère, morphologique et architecturale, mais aussi celle de l’économie, de l’industrie et des techniques, en passant par l’histoire sociale parisienne.

Elle est un instrument de recherche pouvant servir à d’autres travaux sur l’histoire de Paris, élaborant un répertoire quasi exhaustif des sources sur le sujet (documents textuels, graphiques et iconographiques), mettant en exergue une multiplicité de références scientifiques et de sources d’archives originales, provenant de fonds courants et d’un fonds particulier, jusque-là encore inexploité, celui des Archives du Service des canaux de la Ville de Paris.

Le dessin (plans, coupes, perspectives, schémas, cartes2…), outil propre à l’architecte, analytique et heuristique, utilisé comme source, comme outil de recherche et de compréhension, comme support de spatialisation de l’écrit, permet de mettre en lumière la genèse et l’évolution des formes urbaines, en ayant une approche historique rétrospective, soient des allers et retours entre observations sur le terrain et recherches documentaires. L’iconographie dévoile ainsi une histoire dans l’histoire.

En termes de projet, dessiné encore aujourd’hui comme simple infrastructure technique et économique monofonctionnelle, il semble pertinent de penser ou de repenser l’infrastructure canal comme vecteur de l’aménagement des territoires, du point de vue des paysages et des formes urbaines, les canaux comme ressources et comme supports d’une pluralité d’usages à des temporalités multiples. La richesse de cette infrastructure est dans la complexité de ses desseins et dans sa diversité fonctionnelle.

1 Le cadre historique (1818-1876) correspond à la période où les infrastructures ont été concédées, par la Ville de Paris, à des compagnies privées. Il représente aussi l’époque de création et de grande prospérité pour les canaux, en même temps que moment où ils participent à l’engendrement premier des tissus ruraux et urbains.

2 L’étude morphologique, à travers une reconstitution cartographique inédite du tissu urbain, en trois états successifs, permet de mettre à plat les différentes states d’urbanisation de la ville aux abords des canaux, dans les limites actuelles de Paris, où les tissus ont fait l’objet d’une importante mutation au cours du XIXème siècle.

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